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Tasha G.

22,50
Conseillé par
5 avril 2013

Un excellent Paul Auster

Avec Chronique d’hiver, Paul Auster délaisse une fois de plus la fiction pour effectuer un retour sur lui-même : c’est un homme qui se sent vieillir qui écrit, s’adressant à lui-même à la deuxième personne, évoquant son passé, son présent de sexagénaire, son rapport à son corps, à ceux qui l’ont entouré, qu’il a aimés.
Je ne m’attendais pas à aimer autant ce texte.


Le texte est à la fois extrêmement fluide et construit par fragments. Je pensais papillonner dans le texte mais en fait, j’ai eu du mal à interrompre ma lecture, entraînée que j’étais par cette suite de souvenirs, d’analyses, d’interrogations. J’ai trouvé le récit captivant, et pourtant il ne raconte rien d’extraordinaire. J’ai aimé cette impression d’étrange proximité que le texte crée avec qui est un peu familier de l’univers du romancier, de ses romans ou précédents ouvrages autobiographiques aussi bien que de certains éléments de sa vie ; je me demande en revanche comment un non-lecteur de Paul Auster pourrait percevoir Chronique d’hiver. Peut-être peut-on être tout simplement séduit par le propos comme je l’ai été.
Certains épisodes sont bouleversants, touchants, parce qu’ils évoquent des moments de l’enfance ou de la jeunesse qui font écho en chacun de nous, parce qu’ils s’attardent sur les sensations, les émotions. J’ai adoré le long passage où Paul Auster énumère tous les lieux où il a vécu et les souvenirs qui leur sont attachés.
Les dernières lignes sont sobres, efficaces, saisissantes :
« Tu te demandes : combien de matins reste-t-il ?
Une porte s’est refermée. Une autre porte s’est ouverte.
Tu es entré dans l’hiver de ta vie. »
Je sais, ça a l’air plombant, comme ça, mais ça ne l’est pas. J’étais un peu triste d’avoir fini le livre : j’ai passé un excellent moment avec Chronique d’hiver, j’ai eu envie de replonger dans les romans de Paul Auster. Je vous conseille la promenade.

Conseillé par
13 février 2013

Un superbe roman noir

Il y a là tous les ingrédients de ce qui fait un grand roman noir. Un arrière-goût de rouille nous parle d’un coin des Etats-Unis, en Pennsylvanie, qui subit depuis des années déjà le contre-coup de la désindustrialisation du pays. De l’usine sidérurgique qui faisait vivre la vallée il ne reste rien, que des friches industrielles qui rappellent douloureusement que la région était prospère. Il est souvent question des conséquences humaines tragiques de ces délocalisations et faillites qui ont entraîné en cascade d’autres fermetures. Ceux qui sont restés survivent tant bien que mal mais nul n’est épargné, et chacun est conscient non seulement du désastre accompli mais aussi des sombres jours à venir. Si les ouvriers ont été les premiers perdants de la mondialisation, il en est de même désormais pour les employés en col blanc. L’analyse de la situation est toujours livrée à hauteur de personnage, sans pesanteur didactique ou idéologique, et le constat n’en est que plus glaçant, comme il est glaçant de voir ces hommes et ces femmes survivre parfois grâce au produit de leur chasse (pas de leur pêche, les rivières sont bien trop polluées).


Directement liée à cette dimension sociale, la trajectoire des personnages est marquée du sceau du roman noir. Ils sont la plupart du temps agis par les circonstances, mais il y a aussi en eux une conscience douloureuse de leur responsabilité, qu’elle soit individuelle ou collective, en même temps qu’une incapacité à changer leur vie sans déclencher la tragédie. Isaac en est un bel exemple : jeune homme aux capacités intellectuelles extraordinaires, il est coincé à Buell parce qu’il doit s’occuper de son père, handicapé à la suite d’un accident à l’usine (lorsqu’elle fonctionnait encore). Englué dans cette vie sans avenir, il sait qu’il doit partir, mais son départ est précisément le déclencheur de la tragédie.
Il faut dire un mot des personnages, merveilleusement construits. Chacun pourrait être, dans un mauvais roman, un stéréotype social : le jeune sportif un peu rustique et violent, le surdoué asocial, la mère prolo et le gentil flic… Pourtant il n’en est rien : chacun est travaillé dans toute sa complexité, sans complaisance ni angélisme, chacun est bouleversant parce que tout ce qui reste dans ce monde dévasté, c’est l’amour, l’amitié, ce que l’on offre de soi à ceux que l’on aime. Cela n’est pas simple – on n’est pas au pays des Bisounours – mais c’est la seule solution.
Le roman construit peu à peu une toile qui se referme sur les personnages, les étrangle, les condamne, mais le talent de Philipp Meyer est de réussir à ne pas aller là où on l’attend et ne jamais tomber dans le glauque. C’est ainsi qu’il parvient à proposer un final éblouissant, qui allie la noirceur et l’apaisement.
Enfin, Un arrière-goût de rouille, sans appartenir à ces romans noirs qui s’enracinent dans une terre à laquelle ils rendent hommage, évoque avec beaucoup de force la nature. Chacun des personnages, à sa manière et à des degrés différents, évoque la puissance ambivalente d’une nature tour à tour nourricière et dangereuse. Il y a un peu de Chris Offut et un peu de William Tapply, en quelque sorte. Cela donne en tout cas, par moments, un côté contemplatif au roman. Les rivières sont très importantes : elles guident, elles lavent, elles empoisonnent aussi, mais leur sauvagerie originelle est d’une beauté stupéfiante.